L’enjeu pour l’EHPAD d’être un véritable lieu de vie, un « chez soi », a certes été fortement promu sur le plan architectural par le PAI 2021-2024 (« approche domiciliaire »), mais reste une quête, confrontée à de forts obstacles.
Parce que l’idée même d’un EHPAD lieu de vie se voit opposer une stratégie inverse, prônant à la fois le maintien maximal à domicile et la réduction de l’EHPAD à l’accueil sanitaire d’un public très dépendant et souffrant. Et parce que le défi colossal de réinventer l’agencement des EHPAD (et aussi, hors PAI, de repenser l’organisation et le rôle du personnel) entre en collision avec leur délicate situation actuelle – ressources humaines (RH), finances, visibilité à 10 voire 20 ans…
Pour autant, nous pensons, chez GERONTIM, que l’EHPAD lieu de vie ne peut qu’advenir, car inscrit dans le temps long de la hausse des exigences sociétales – et même… qu’il est un lieu de vie par nature. Aussi ce billet vise-t-il à proposer des voies architecturales concrètes à emprunter pour relever ce défi ; et évoquer aussi certains effets induits en matière de RH et financière.
L'EHPAD est par nature un lieu de vie, et l'époque reste porteuse
Le concept d’EHPAD lieu de vie, peu honoré jusqu’ici, a trouvé une nouvelle légitimité avec l’arrivée maintenant imminente (dès 2030) des baby-boomers et de leur culture d’affirmation de soi rompant avec celle des générations précédentes.
Il n’empêche, faut-il douter au vu des obstacles dits plus haut, notamment des divergences de stratégie ? Les EHPAD sont-ils voués à devenir des pré-hôpitaux ? À notre avis, non, si l’on réfléchit à leur vocation profonde, et si on la confronte aux attentes des baby-boomers.
Qu’est-ce qu’un EHPAD, fondamentalement ? C’est un lieu d’accueil de personnes vieillissantes :
- ne pouvant ou voulant plus vivre à domicile même bardées de services, car trop seules ou ayant trop besoin d’aide
- mais encore vaillantes, ayant des années à vivre leur vie, réaliser leurs envies. Voilà qui dessine, une puissante vocation : être bel et bien un lieu de vie, au sens de constituer pour et avec ces personnes une communauté de vie(s) affectueuse, aidante… et même désirable ; une communauté large, avec autour d’elles les familles, personnel, bénévoles mais aussi la cité et ses membres ; une communauté qui leur permette d’être toujours des habitants, des citoyens.
Et que sont les attentes des baby-boomers ? On le sait : libre choix, confort, intimité, vie sociale, loisirs, droit d’expression, singularité… En somme, une exigence de vivre selon ses désirs personnels, le soin n’étant qu’un moyen à cet effet.
Certes ces personnes seront dépendantes, souffrantes ou désorientées. Mais cela n’annihile ni leurs émotions et envies, ni la dite vocation de l’EHPAD d’être aidant. Et de plus, si l’EHPAD devient désirable, les personnes viendront plus tôt, plus autonomes ; et vice-versa, en un cercle vertueux.
Le constat s’impose : ça matche ! La vocation de l’EHPAD et les attentes des baby-boomers se répondent. Ces derniers peuvent être pour les EHPAD, non une contrainte, mais au contraire leurs meilleurs alliés pour accomplir leur vocation.
L’EHPAD lieu de vie devrait donc se concrétiser tôt ou tard. La conjoncture n’en paraît pas moins paralysante pour les projets, bien sûr. Mais nous verrons que la réalisation architecturale d’un tel EHPAD peut soulager certaines difficultés, avec de forts avantages potentiels, côté RH sur la qualité de vie au travail (QVT), et côté finances sur les coûts de fonctionnement et d’investissement.
Quelle architecture pour un EHPAD lieu de vie ?
En écho à la vocation de l’EHPAD et aux attentes des baby-boomers, 2 principes transversaux doivent imprégner le cadre architectural : la complexité et l’adaptabilité. Comme dans la vraie vie, où le territoire, par sa diversité et sa souplesse, permet à chacun d’élaborer sa vie à nulle autre pareille, et de la relier aux autres vies à sa façon.
Ces 2 principes sont à travailler à travers 4 sujets-clés concrets du projet architectural : le logement personnel, la vie sociale, l’ambiance, la circulation. Pour chaque sujet, nous listerons de grandes actions à mener.
Fait majeur, les membres de la communauté de l’EHPAD (habitants, familles, personnel, bénévoles…) sont tous praticiens de l’habitat et peuvent se projeter. Les habitants sont les mieux placés pour dire leurs besoins ; mais les autres, qui habitent ailleurs, peuvent aussi s’interroger. Cette expertise est à mobiliser par l’échange, via une démarche d’Assistance à Maîtrise d’Usage (AMU).
Nos propositions d’actions ne sont donc que des suggestions à discuter par la communauté. Elles s’appuient toutefois sur ce que nous appelons à « notre expérience à tous », à titre d’amorce de ces futurs débats.
Un véritable logement personnel
Selon notre expérience à tous, vivre sa vie, être libre, cela commence par la jouissance d’un lieu à soi, où l’on peut s’isoler, agir à sa façon, dont on est le maître : c’est-à-dire un vrai logement personnel.
En EHPAD cependant, prévaut au plus (sauf exception) une chambre individuelle de 20 m2, lieu pauvre en inclinations personnelles et soumis à une logique fonctionnelle tierce.
Différenciation spatiale des activités (habitants et leur famille)
Une chambre de 20 m2, munie en tout d’un lit médicalisé et d’une salle d’eau, ne répond qu’à des besoins basiques – dormir, faire sa toilette. Or chez soi, on a bien d’autres choses à faire. A cet effet, un vrai logement doit proposer des espaces différenciés.
Pourraient par exemple être envisagés :
- Pour protéger son intimité globale (être tranquille chez soi, ne pas tout montrer au visiteur): un vestibule, non pas un couloir mais un seuil, un vrai lieu de transition entre espace collectif et espace privé.
- Pour mener des activités le jour (se reposer, lire, regarder la télévision, écrire…) et recevoir dignement ses proches (autrement qu’assis sur le lit) : après le vestibule, un espace séjour meublé par exemple avec des sièges, une table…
- Pour retrouver la liberté typique du chez soi de s’offrir un café, une bière fraîche, un en-cas chaud : une kitchenette compacte (évier, frigo, micro-ondes…), et ajustable si nécessaire.
- Pour dormir ou faire la sieste, activités très intimes : un espace nuit, non plus accaparant le logement dès l’entrée mais en retrait, visible seulement après le séjour, avec un lit disposé plus discrètement.
- Pour faire sa toilette, avec intimité encore : une salle d’eau elle aussi en retrait ; et sans l’aspect saillant habituel nuisant à la dignité, donc placée hors volume principal, par exemple intercalée entre deux logements.
- Et enfin, pour profiter d’une belle lumière, de l’air du matin, du murmure de la nature : une baie grande, décorative, avec peu ou pas d’allège, un garde-corps laissant fleurir et s’avancer voire une terrasse.
Tout cela requiert que le logement franchisse le seuil minimal de 25 m2 et tende vers 30 m2. Ce ne sont pas des normes, juste des valeurs qui font consensus parmi les architectes notamment.
Par ailleurs, l’intimité du logement suppose une isolation acoustique réglementaire, du moins entre logements ; la porte d’entrée pourrait déroger afin d’être manœuvrable par l’habitant et de laisser filtrer les bruits rassurants de l’EHPAD.
Liberté d'aménagement
Disposer d’un vrai logement implique de jouir de la liberté d’aménagement due à tout locataire. Une liberté large, qui porte bien sûr sur les objets et petits meubles, mais aussi sur des éléments plus décisifs : gros meubles, revêtements muraux, rideaux, luminaires fixes, équipements mobiles électriques (avec de nombreuses prises).
L’habitant doit pouvoir vraiment personnaliser son logement (profitant légitimement de la liberté accordée dans ce but par la réglementation type J), et échapper à l’aspect fonctionnel encore fort en EHPAD.
Par ailleurs, cette liberté suppose, non une admission expéditive, mais un processus long incluant : la présentation du logement totalement vide (mis à part peut-être le lit), un temps d’une semaine au moins offert à l’arrivant et sa famille pour réfléchir à l’aménagement, un temps de travaux et installation, et enfin l’emménagement proprement dit de la personne. Pour la viabilité économique, un logement tampon peut permettre de loger la personne dans l’intervalle.
Libre position du lit
Permettre à l’habitant de choisir la position de son lit, ou a minima entre deux ou trois positions (pour cause de branchement, de rail) est crucial. Le lit perpendiculaire habituel, trop central, nuit fortement à la différenciation des espaces et à la liberté d’ameublement.
La position le long du mur, notamment, est décisive, car elle ramène l’espace nuit à sa juste proportion (latéral et discret, le lit devenant même un divan le jour), affirme la primauté de l’espace séjour (vaste et central), et permet un ameublement plus important.
Certes, la position du lit dépendra aussi de l’autonomie de la personne ; mais le choix devrait résulter de son avis et de ses capacités, de ses intérêts d’habitant plutôt que sujet de soin. Et ne pas résulter des contraintes fonctionnelles du personnel (sur ce point, l’ergonomie pourrait aider, nous le verrons).
Adaptation du logement dans le temps
Une autre liberté propre à un vrai logement est de pouvoir y vivre longtemps, en autonomie, plaisir et sécurité, sans devoir déménager ; le logement devra donc s’adapter à l’évolution de l’habitant. L’architecture devra parer aux évolutions possibles par des adaptations souples tenant compte des capacités et de la liberté d’aménagement de chacun.
Par exemple, le lit pourra changer aisément de position en restant opérationnel, un rail sera préinstallé discrètement (à fleur de faux-plafond, avec rangement pour le moteur) ; la kitchenette sera convertible en simple meuble ou amovible ; des systèmes domotiques seront disponibles (repérage, commande vocale, détection de situations d’urgence, communication…).
Choix entre plusieurs logements
Le droit à un logement implique, comme dans la vraie vie, d’avoir le choix entre plusieurs. Ce qui est rare en EHPAD : les chambres et unités étant souvent identiques, le choix paraît sans objet ; et l’entrée de la personne étant soudaine et la demande forte, l’unique chambre proposée est à prendre ou à laisser.
Sur le premier point, il s’agira de promouvoir une vraie diversité architecturale. Celle des logements, avec des variations de géométrie, espaces, orientation, vue, baies, esthétique, voire surface. Et celle des unités (ou plutôt des quartiers, on va le voir) avec des variations de géométrie, de disposition des logements, locaux ou circulations, de caractère, ambiance, activités, affinités entre voisins…
Sur le second point, il s’agira pour l’EHPAD d’être ce lieu désirable, où les personnes viendraient par projet anticipé, avec d’abord un court séjour de découverte des différents quartiers et logements, puis l’attente chez elles d’une offre leur permettant un choix de cœur.
Une vie sociale étoffée
Selon notre expérience à tous, la vie sociale doit être riche, varier selon les lieux, personnes, effectifs (petit comité ou vaste assemblée, jusqu’à la communauté large de la cité), et selon le libre choix de chacun.
En EHPAD cependant, la vie sociale reste souvent limitée à un dispositif architectural binaire, pauvre, entre unités pour le sommeil, et locaux centraux pour la vie collective ; avec de plus peu d’ouverture sur l’extérieur.
Au sein même de l'EHPAD, une vie sociale multiforme
La faible mobilité des habitants exige de leur proposer dans les murs et espaces extérieurs de l’établissement cette vie sociale diversifiée.
On pourrait par exemple envisager, en référence aux « degrés » usuels en ville :
- Une vie sociale privée : celle qu’on mène dans son logement, avec la famille, les amis. Elle suppose un véritable espace séjour, permettant de recevoir confortablement et hors de l’espace nuit.
- Une vie sociale de voisinage ou semi-privée: celle qu’on mène près de son logement (dans son allée, sa rue), où l’on connaît les gens, et échange avec eux. Ce degré encore amical est en général absent des EHPAD, ou juste esquissé avec des salons d’unités. Le faire vivre architecturalement demande de ne plus penser « unité » mais « quartier », notion plus concrète et humaine. Ce quartier pourrait compter 10 logements au plus, et des lieux crédibles de vie collective locale : un vrai salon, une salle à manger pour tous repas, des locaux d’activités intimes (balnéo, bien-être…) ou plus animées mais encore semi-privées (ateliers cuisine, repas familiaux, jeux, travaux manuels, kiné, danse…), et un jardin ou terrasse. On peut ainsi y passer plusieurs jours si l’on veut. Bien sûr on peut mutualiser des locaux entre quartiers pour l’interaction et l’efficacité, tout en y modérant l’effectif : la salle à manger peut être partagée entre deux ou trois quartiers, les activités peuvent être réparties et donner à chaque quartier sa personnalité (on rejoint ici les variations entre quartiers vues plus haut).
- Une vie sociale centrale : celle qu’on trouve plus loin de chez soi, faite de multiples activités, surprises, où l’on croise des inconnus. Une atmosphère tonique de sortie en ville. Ce degré, en EHPAD, repose sur les grands locaux collectifs, hall d’accueil, grande salle à manger, salle polyvalente… parfois sur une « place de village » avec salon de coiffure, boutique, coin café. Mais cela reste souvent cantonné aux résidents, familles, personnel, bénévoles, il manque la présence de la cité et ses habitants, l’effervescence de la société réelle. Pour cela l’EHPAD doit attirer un public extérieur de toutes générations, avec des choses utiles et de belles expériences humaines. Il s’agira, en parlant aux acteurs locaux (commune, associations, entreprises), d’identifier les opportunités, les activités ou locaux à proposer « comme en ville ».
Voici quelques exemples observés ici et là :
- Pour les personnes âgées à domicile : repas, culture et loisirs, gym, information santé, café des aidants…
- Pour tout public extérieur : salon de thé, bistrot, fitness, arts plastiques, cinéma, théâtre, culte, maison de santé, services publics… Et en extérieur, aire de pique-nique, jeux d’enfants, parcours de santé, activités écologiques…
Jonction, imbrication avec la ville
La connexion de l’EHPAD avec la cité passe par les activités ci-dessus, mais aussi par sa capacité à se signaler aux gens, à les attirer, avant même qu’ils y entrent.
D’abord en invitant le public à entrer librement dans l’EHPAD pour rencontrer les habitants et profiter de son offre, et même à traverser son terrain (voire le bâtiment) pour la commodité d’un trajet riverain. Une architecture ouverte, chaleureuse, et non pas Institutionnelle, signifiera cela.
Ensuite en affirmant avec panache l’action sociale et culturelle de l’EHPAD dans la cité. Le buzz sera recherché, via une architecture contemporaine ou traditionnelle mais pas banale, une œuvre d’artiste grand format, des événements ambitieux (cas réels d’un festival de rock, d’un centre d’art…)
Morceau de ville
Mieux encore, l’EHPAD peut se voir en acteur proactif de la cité, force de proposition urbanistique et sociale. Ses habitants, son personnel recouvrent leur importance citoyenne. L’EHPAD achève de se désenclaver et se fond dans la ville, avec une architecture au contour effacé.
Liberté d'user de tout cela
Comme dans la vie, les habitants (et leur famille et proches) doivent être parfaitement libres des moments, degrés, lieux, personnes, activités de leur vie sociale, dans une logique « à la carte ».
Une ambiance "poétique", émotionnelle
Selon notre expérience à tous, il nous faut pour vivre bien un cadre émouvant, subjectif (« poétique »). Notre logement nous charme par nos décors, nos souvenirs. Et l’espace public par ses traits esthétiques et culturels.
En EHPAD cependant, domine la rationalité hospitalière, faite pour des gens de passage. En résultent les modèles répétitifs de chambres, les longs couloirs, le manque de couleurs, de meubles, de décoration.
Espaces et formes à portée des habitants
Aucun lieu de l’EHPAD ne devrait être vaste, vide, monotone, et donc fatigant pour les habitants ; sont préférables des gabarits compacts, rassurants, à la portée de leurs moyens physiques et cognitifs.
Les unités deviennent ainsi des quartiers amicaux. Les locaux collectifs centraux deviennent des espaces mesurés, propres à une vie sociale centrale diversifiée. Les distances sont condensées. Enfin les formes architecturales fuient l’uniformité pour la forte variété vue plus haut, avec fractionnements, inflexions, aléas, à la façon des villes anciennes.
Ce besoin de « taille humaine » en tout lieu n’empêche pas d’installer les degrés successifs de vie sociale, en faisant varier l’envergure des différents lieux dans une fourchette resserrée.
Esthétiques et configurations ni hospitalière ni seulement domestique, mais variées
Pour rompre avec l’univers hospitalier, on privilégie souvent l’esthétique domestique. Mais ce serait rester uniforme, ne pas servir la diversité de la vie sociale. Aussi le répertoire peut-il plutôt varier selon celle-ci.
Le logement, lieu de la vie sociale privée, relève par nature d’une ambiance domestique. Et de mille façons, l’habitant pouvant choisir objets, meubles, rideaux, luminaires, revêtements muraux. Les autres revêtements pourront être à l’unisson : sols façon parquet, plinthes bois, salle d’eau carrelée, plafonds lisses.
Les espaces de la vie sociale centrale ne relèvent pas d’une ambiance domestique mais plutôt d’une ambiance de centre-bourg. Ainsi la configuration architecturale et les matériaux peuvent-ils évoquer l’extérieur : échappée vers le ciel avec une verrière raisonnable pour la « place de village » ; pierre, brique, enduit ou bois pour les murs, dallage pierre ou imitation pour les sols ; activités installées dans un esprit foisonnant de lieu public ; place ouverte sur les espaces extérieurs, rendant palpable la cité alentour.
Et entre ces deux pôles, l’ambiance des quartiers, lieux de la vie sociale de voisinage, serait quelque chose d’intermédiaire, un monde de nuances nourri de la subtilité de cette vie semi-privée mais aussi des diverses personnalités des quartiers.
Liberté d'investir les lieux collectifs
Envisager des espaces de vie sociale riches de personnalités et de surprises implique de laisser partout libre cours aux envies des habitants et leurs proches, au-delà du logement. Régulée par une gestion communautaire, la liberté de s’approprier s’étend aux lieux collectifs et circulations, qui ne sont plus réservés au gestionnaire.
Cette liberté pourra porter sur la décoration (murs, meubles, bibelots…) sans hésiter à charger, ; sur les usages des locaux, affectifs, et non plus fonctionnels ; sur l’expression publique des habitants ou de quiconque convié par eux (expos, spectacles, débats…). Le personnel, les intervenants et bénévoles, et d’autres, aideront et contribueront, en tant que membres de la communauté de l’EHPAD.
Immersion des locaux professionnels
L’abandon des références hospitalières suppose aussi que les locaux professionnels se coulent dans le lieu de vie qu’est l’EHPAD, admettant que les habitants sont ici chez eux, que le soin et la gestion ne sont pas leur but.
Ces locaux ne sont pas à cacher, sauf ceux purement fonctionnels (vestiaires, stocks…) ; ils peuvent surtout se repenser comme lieux de services « de ville » : points d’intérêt de l’EHPAD parmi d’autres, contribuant à la diversité de la vie sociale et de l’ambiance.
Il s’agit ainsi de briser les pôles administratif et médical trop vastes et centraux. Les locaux peuvent être disséminés parmi les autres lieux de vie sociale ; et Ils peuvent être optimisés peut-être, par mutualisation entre eux, ou avec autres locaux.
Puis il s’agit de donner à ces locaux une étoffe de lieux de vie sociale : être accueillants pour les habitants, adopter une esthétique avenante, différencier leur apparence comme en ville.
A noter, une politique radicale serait d’exclure tous les locaux professionnels des espaces de vie des habitants, le personnel intervenant alors tel un service à domicile. Mais ce serait se priver de leur potentiel d’animation, et égratigner la notion de communauté bienveillante et aidante.
Au total : créativité, foisonnement
Pourrait ainsi éclore dans tout l’EHPAD, in fine, une ambiance dérationalisée, imaginative, sans tabou. Bref, « poétique » et émotionnelle, image joyeuse de multiples vies en interaction.
Une circulation facile et libre
Selon notre expérience à tous, l’usage d’un logement personnel, une vie sociale étoffée, requièrent la liberté de se déplacer. Il y faut de la facilité pratique, mais aussi un repérage aisé, et au-delà de l’attrait.
En EHPAD cependant, on en reste en général aux mesures de l’accessibilité réglementaire. La facilité pratique manque dans le détail, et le repérage et l’attrait sont peu assurés dans un cadre architectural simpliste.
Facilitation pratique maximale
La réglementation accessibilité, englobant tous les handicaps, est d’abord à exploiter pleinement. Mais au-delà, il faut identifier et supprimer les obstacles minuscules entravant les déplacements de chaque habitant (par exemple, pour sortir de son logement), via une étude ergonomique individualisée avec observation et échanges.
La compacité horizontale est également cruciale. Tout en préservant leur richesse, il faut créer des trajets courts, notamment entre quartiers et espaces centraux ; une construction ramassée avec des ascenseurs bien répartis, par exemple en R+2, peut s’avérer judicieuse.
Repérage aisé
Une signalétique écrite servira surtout aux visiteurs d’un jour. Les habitants et habitués de l’EHPAD s’orienteront via des repères multiformes connus d’eux, comme en ville. Des repères mobilisant tous les sens et donc les capacités de chacun, et structurant l’espace : couleurs et motifs d’un mur, lumière et vue d’une baie, toucher d’une tapisserie, mélodie d’une fontaine, parfums de cuisine, de linge ou de fleurs… In fine, moins une liste de locaux qu’un réseau de points marquants.
Attrait des espaces et lieux
Au-delà de ces aspects matériels, la condition première du déplacement est le plaisir espéré de l’objectif (lieu ou activité), et du parcours. On le sait : le charme d’une ville ancienne ou d’un bâtiment raffiné, l’envie d’avancer, tiennent à la variété des espaces et motifs, à la promenade architecturale… bref, à tout sauf la monotonie.
Or une palette pétillante d’activités et d’éléments existe désormais, fruit de la vie sociale, de l’ambiance, du repérage ; l’architecture peut en nourrir des parcours faits de successions d’espaces et points singuliers, et non de couloirs. Tel un morceau de ville, l’EHPAD est à imaginer comme une constellation pittoresque de centres d’intérêt.
L’EHPAD est un lieu de vie par nature : plus qu’une conviction, c’est d’après nous une perspective absolument tangible, qui va prendre corps, pour les raisons que nous avons dites. Et qui pourra aussi s’appuyer, comme nous l’avons indiqué, sur des avantages substantiels en matière de QVT et de coûts de fonctionnement et d’investissement.
Mais on peut voir plus loin, quant à la nécessité d’un tel EHPAD. Il s’agit en vérité de l’ambition démocratique elle-même, c’est-à-dire de l’espoir d’une société plus inclusive, ouverte, tolérante, respectueuse des droits individuels et soucieuse du bien collectif, ici pour les personnes vieillissantes – et finalement pour nous tous.
Or nous savons la subtilité et la fragilité de cet idéal. A ce titre, penser l’EHPAD comme un véritable lieu de vie, et plus largement porter haut les valeurs du secteur médico-social, peut s’apparenter dans le monde qui vient à un acte militant – un acte de résistance.

